Regarde tes pédales, Guylaine

Regarde tes pédales, Guylaine, regarde tes pédales, me dit Bernard devant mon air totalement découragé et éreinté.  J’ai 20 ans. Je fais des efforts surhumains pour tenir en selle sur mon vélo, mais les côtes de la Gatineau sont interminables et abruptes. Je n’ai pas l’endurance de mon ami qui se prépare depuis des mois à faire le tour de la Gaspésie.

Un tour de roue à la fois, me dit-il, et tu vas y arriver, mais ne regarde pas le haut de la pente.

Et j’ai réussi!

Chaque fois que la vie me malmène et que j’ai l’impression que je ne m’en sortirai jamais, je me redis cette phrase : Regarde tes pédales, Guylaine, regarde tes pédales.


Y aura-t-il un été à Val-David en 2019?

Chez nous, le printemps hésite à s’installer. C’est la mi-mai dans nos montagnes. Il fait froid. Le ciel a oublié qu’il pouvait être bleu. Le soleil s’entête à bouder.

Malgré le froid qui perdure et la neige qui s’attarde encore dans les sous-bois et au fond des cours, le feuillage des jonquilles s’érige bravement tel un périscope pointe son œil hors de l’eau pour scruter le paysage. Les grosses fleurs de pétasites se déploient entre les amas de glace. Et les scilles de Sibérie colorent gaiement la pelouse encore rousse de leurs petites fleurs bleues.

La vie bat par-delà l’adversité. On peut raisonnablement espérer qu’il y aura un été. Peut-être pas celui dont on rêve, mais un été tout de même.

Il en va du temps comme de la vie, tout passe, rien ne dure, tout se transforme.

D’où l’importance de cultiver l’espoir comme on attend l’été. Comme on entretient un jardin. Patiemment, minutieusement, jalousement.


Il n’est pas facile de garder espoir quand la vie se déglingue. Pourtant l’espoir est souvent la seule arme dont on dispose quand la tempête fait rage.

Deuil, séparation, trahison, perte d’emploi, maladie grave, harcèlement, handicap, conflits insolubles, isolement sont autant de situations qui mettent à mal notre capacité à espérer. Quand l’eau engloutit terres et maisons et que son retrait ne laisse que souillure et désolation, seul l’espoir donne l’énergie nécessaire à rêver   à des lendemains meilleurs.

Qu’est-ce que l’espoir?

L’espoir c’est une force de caractère qui repose sur la croyance selon laquelle si on fait son possible, les choses devraient s’arranger. Et qu’advenant que la situation tourne mal, on réussira à trouver matière à jouir de la vie et à connaitre encore de bons moments.

Nombre de psychologues estiment que pour entretenir l’espoir, on doit avoir un but à atteindre, croire qu’il est possible d’atteindre ce but et avoir en tête différents moyens pour arriver à nos fins. (Rick Snyder)

Quand l’espoir fléchit, on peut d’une part se demander lequel des trois éléments manque à l’appel : le but, les moyens ou la vision optimiste de l’avenir? On peut d’autre part se retrousser les manches et travailler à accroître sa capacité à espérer. L’espoir, comme la plupart des qualités humaines, se développe avec l’exercice et la persévérance.

L’impuissance : la réaction par défaut au   stress permanent

La nécessité de cultiver l’espoir tient au fait que l’être humain a plutôt tendance à désespérer et à sombrer dans l’impuissance quand le stress perdure.  L’espoir ne pousse pas naturellement dans l’homme comme les fruits dans les arbres.

Les études en neuropsychologie ont démontré que l’impuissance est la réaction naturelle de l’être humain face au stress auquel il ne peut échapper.  Quand l’être humain est confronté à un stress qu’il n’arrive pas à maîtriser, il tend à cesser de lutter. Il devient passif et impuissant.

Il semble que cette stratégie ait permis au sapiens de survivre en adoptant la posture la moins énergivore et donc la plus susceptible d’assurer sa survie lorsqu’exposé à des dangers incontrôlables.  Faire le mort, lâcher prise, cesser de lutter a dû constituer une stratégie gagnante au point de vue de la survie de l’espèce.

L’impuissance serait donc la stratégie par défaut de l’organisme soumis à un stress permanent. La neuropsychologie décrit avec précision le mécanisme en question.

En termes simples, c’est l’activation d’une zone particulière du cerveau, le noyau raphé dorsal (NRD), qui est responsable de la réaction d’impuissance. Tous nous sommes prédisposés à l’impuissance et aux états qui l’accompagnent, la passivité, l’anxiété, la dépression, bref l’absence d’espoir.

Face à un stress incontrôlable, le noyau raphé dorsal (NRD) s’active, enclenche la production de sérotonine 5HT laquelle stimule l’amygdale – qui génère les réactions de panique – ainsi que la substance périaductale – qui génère l’impuissance.

Encourageant, n’est-ce pas?

Le circuit de l’espoir

Il y aurait de quoi désespérer si les chercheurs n’avaient également identifié un circuit qui atténue l’impact du noyau raphé dorsal (NRD). On a découvert qu’une autre région du cerveau, le cortex préfrontal médian (CPFM) avait la capacité de neutraliser le noyau raphé dorsal (NRD), rendant possible une gestion active du stress. Seligman, le père de la Psychologie positive, a appelé ce réseau neuronal, le circuit de l’espoir.

Au fil de l’évolution, l’être humain a acquis des habiletés de contrôle et de maitrise de lui-même et de l’environnement qui ont contribué au développement du cortex préfrontal médian (CPFM). Quand le cerveau perçoit qu’une situation est contrôlable, le cortex préfrontal médian (CPFM) produit alors des protéines de plasticité qui interviennent pour modifier le réseau neuronal allant du CPFM au noyau raphé dorsal (NRD). Ces protéines ont pour effet d’atténuer l’impact du NRD.

Qu’est-ce que cela a à avoir avec l’espoir?  Cela signifie que plus on développe nos habiletés de contrôle et de maitrise de soi, plus notre cortex préfrontal se densifie et plus il est en mesure de produire les fameuses protéines de plasticité qui vont neutraliser le noyau raphé dorsal. On éprouve alors la sensation que la situation est contrôlable et on se sent apte à y faire face. L’espoir c’est exactement cela : la sensation d’un défi à relever et l’impression qu’on en viendra à bout.

C’est ce qui permet de comprendre pourquoi les athlètes, les soldats et les pilotes gardent leur sang-froid sous la pression. Leur cerveau détecte la menace mais leur CPFM s’empresse de la contrôler. La production de protéines de plasticité atténue l’impact du NRD et permet à l’individu d’adopter un comportement pro actif.

On vient de comprendre les performances éblouissantes du commandant Piché !!!

C’est aussi simple que ça !!!

Les avantages de cultiver l’espoir

Ben non, ce n’est pas si simple !!! Ce n’est pas si facile mais au moins, ça s’apprend. Je vous fournis en dernière partie de ma chronique des moyens de cultiver l’espoir. Mais permettez-moi d’abord de chercher à convaincre les sceptiques qui ne voient pas les avantages de développer une attitude plus optimiste face à la vie.

De nombreux scientifiques dont Martin Seligman (2006) ont découvert que les personnes optimistes, celles qui ont espoir que les choses s’arrangent, sont plus heureuses que les personnes pessimistes. Elles tendent à avoir une meilleure santé physique et mentale.  Elles jouissent d’une meilleure résistance au stress et sont généralement plus satisfaites de leurs relations interpersonnelles.

Les sujets dotés d’une bonne capacité à espérer tendent à obtenir de meilleures performances en situation de stress intense. Ils savent mieux anticiper les résultats, bons ou mauvais, et s’organisent en conséquence. Ils sont davantage persévérants et persistent à donner leur maximum tant que la situation l’exige et sans perdre de temps à entretenir des pensées négatives.

L’ensemble des recherches qui ont mené à la création du Répertoire des forces de caractère (Peterson, C et Seligman, M. (2004) Character Strenghts and Virtues : A Handbook  and Classification) ont par ailleurs mis en lumière que l’espoir est une des habiletés fondamentales associée à la résilience et qu’elle compte parmi les forces les plus étroitement liées au bonheur.

Deux témoignages

L’espoir n’a donc rien de puéril. L’espoir, le vrai, nous fait découvrir les perce-neiges dans le sol encore glacé et nous annonce que le beau temps revient. L’espoir nous amène à explorer ce que les événements peuvent nous apprendre plutôt que de courber la tête face à ce qui nous arrive.

L’écrivain québécois François Gravel a eu ce mot concernant la maladie de Parkinson qui l’assaille. (Lire :  A vos ordres, colonel Parkinson).

Cette maladie m’a permis d’écrire un livre. Et face à elle, je suis curieux. Que va-t-elle m’apprendre sur moi, sur les autres, sur la vie, sur la science?

Demandez-lui s’il préférerait vieillir sans cette foutue maladie. Il répondrait oui, bien sûr. Mais puisque c’est comme ça, qu’il ne peut rien y changer, il cherche à découvrir comment faire pour goûter la vie au maximum et apprivoiser la bête. C’est sa façon de cultiver l’espoir. Au lieu de regarder le bout du chemin, il regarde ses pédales…

L’espoir dont il est question ici, c’est la faculté de trouver dans les décombres de nos vies la petite lumière au bout du tunnel. Et de garder le cap dans cette direction. Ce n’est pas la foi naïve qui nous ferait rêver du miracle qui changerait la vie d’un coup de baguette magique. Non, c’est la foi en notre capacité à passer au travers des difficultés de la vie de la meilleure façon qui soit pour notre bien-être et celui de nos proches compte tenu des circonstances.

Le psychologue que je consultais à l’époque me disait souvent : Guylaine, tu regardes une splendide carte postale et tu rêves d’y habiter. C’est impossible. Tu te fais mal. Il est beaucoup plus confortable de voir sa vie telle qu’elle est et de chercher à l’améliorer que de rêver à quelque chose d’impossible que tu n’atteindras jamais. Le bien-être repose sur la capacité que l’on a d’utiliser son pouvoir personnel à changer les choses.

Un tour de roue à la fois. Aujourd’hui je dois admettre que son conseil a fait des merveilles dans ma vie.

C’est ça l’espoir. C’est croire en son pouvoir personnel de faire de sa vie quelque chose de bien.

Comment renforcer l’espoir?

Voici maintenant la question qui tue : Bien d’accord pour apprendre à espérer, mais pour l’amour de Dieu, comment on fait ça?

Bonne question.

Je vous présente ici quelques suggestions d’exercices que vous saurez sûrement agrémenter de votre propre créativité.

Les personnes inspirantes

La lecture de livres ou l’écoute de films décrivant comment des gens confrontés à des difficultés hors du commun sont parvenus à s’en sortir grâce aux pensées constructives qu’ils entretenaient sont une source d’inspiration inépuisable.

Je pense entre autres à Victor Frankl (Un sens à sa vie), à Martin Gray (Au nom de tous les miens) ou encore à Ingrid Bétancour (Même le silence a une fin ). Plus près de nous, la vie de Janette Bertrand, la biographie de Lise Payette, le cheminement des Pierre Bruneau, Chloé Sainte-Marie, Dan Bigras peuvent grandement inspirer le lecteur désireux de sentir de l’intérieur comment ces gens ont entretenu l’espoir de jours meilleurs et comment ils y sont parvenus.

On peut également observer les gens de son entourage qui semblent dotés d’une confiance désarmante dans la vie et qui ont toujours espoir que les choses s’arrangent. Observez-les, interrogez-les sur leurs croyances. Comment ont-ils développé de telles croyances? D’où viennent-elles? Demandez-leur de vous raconter ce qui les a aidés lors de périodes difficiles.

Prendre une distance des médias

Ce peut être une bonne idée de prendre une pause de la télé et des médias sociaux surtout si vous constatez que ces habitudes vous incitent à la passivité, à la négativité, au découragement ou à la violence. On sait que les gens optimistes écoutent beaucoup moins la télé que les gens pessimistes. N’ayez pas peur. Vous ne deviendrez pas indifférents à ce qui se passe dans le monde. Vous rechargerez simplement vos batteries pour continuer à mener les batailles qui vous sont chères.

Des projets, des projets, des projets

Les gens optimistes ont des rêves. Ils imaginent les beaux moments que la vie leur réserve et ils font des plans en conséquence. À quoi rêvez-vous? Qu’est-ce qui vous énergise? Vous stimule? Vous mobilise? Explorez différents domaines de votre vie et investissez votre énergie à réaliser des projets attirants.  Profitez-en pour développer vos capacités de contrôle et de maîtrise de vous-même. Faites des plans et réjouissez-vous de chaque petite étape réussie. Vous renforcez du coup votre cortex préfrontal médian.

On est tous résilients

Contrairement à la croyance populaire, les êtres humains sont tous résilients. Il s’agit de réfléchir aux expériences vécues dans le passé et de constater que tous, nous avons vécu des moments difficiles et nous nous en sommes sortis.

Quand la vie nous malmène, c’est une bonne idée de repenser aux ressources dont on a fait preuve dans ces situations. Inspirez-vous de vos succès passés pour créer vos succès à venir.

Bien s’entourer

Les émotions sont contagieuses, les émotions positives comme celles qui sont négatives. Entourez-vous de gens optimistes, tournés vers l’avenir, surtout quand vous vivez des difficultés importantes. Acceptez leurs encouragements et leur aide. Faites-leur savoir que vous serez là pour eux en cas de besoin.

On dit que les émotions positives partagées se décuplent et que les peines partagées réduisent de moitié.

Conclusion

Personne n’y échappe. La vie est faite de hauts et de bas. Il y va en partie de notre volonté de choisir si le verre est à moitié vide ou s’il est à moitié plein. À chacun d’entre nous d’estimer les dommages collatéraux de nos croyances et d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

Si l’on choisit l’espoir, il s’agit de l’étudier, de l’apprivoiser, de l’observer chez les gens qui le possèdent, de le débusquer là où il se cache et de le soigner tendrement comme on dorlote un enfant. L’espoir, c’est fragile. Plus on s’en soucie, plus la capacité d’espérer se renforce.

L’été s’en vient. Exercez votre capacité à espérer en vous donnant des projets à réaliser au cours des mois à venir, qu’il fasse beau ou pas. Pensez à différents scénarios.  Aussi petit soit-il, le projet mobilise et sa réalisation crée du bien- être chez son auteur.

Allez. Fabriquez-vous un bel été. Enfourchez votre vélo, prenez la route. Surtout n’oubliez pas : regardez vos pédales, un tour à la fois, et avancez!

Bon été!

Note : L’information scientifique concernant la théorie de l’espoir est tirée de l’ouvrage suivant : Seligman, Martin E. P. The Hope Circuit. A Psychologist’s Journey from Helplessness to Optimism. NewYork : PublicAffairs, 2018.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.